“L’entreprise de demain est celle qui intégrera la notion de progrès pour tous”
Des jeunes issus de la génération Z y présenteront leurs visions de l’économie de demain. Face à eux, des experts et économistes.
Pour Michel de Kemmeter, à l’origine de l’initiative, les entreprises qui seront encore là dans 20 ans seront celles qui auront su créer autant de valeur humaine que de valeur matérielle.
Le 28 mars prochain se tiendra à Louvain-la-Neuve le “sommet de la nouvelle économie”. Pour la première fois, un groupe de jeunes issus de la génération Z (nés après 1990) présentera sa vision de l’économie de demain. Face à eux, des experts et économistes questionneront la faisabilité du modèle. L’événement est une initiative de Michel de Kemmeter. À la fois patron de PME, auteur et consultant, il plaide pour une refonte totale de notre système économique où l’humain et son talent auraient enfin la place qui leur revient. “Et la crise constitue un moment salutaire pour lancer une telle révolution”, souligne-t-il. Michel de Kemmeter répond à nos questions.
À quoi ressemblera, selon vous, l’économie de demain?
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Au cours de nos recherches, nous avons détecté trois axes forts. Le premier concerne la notion de service au bien commun. La raison d’être d’une entreprise doit être caractérisée par la plus-value à apporter à la société et au progrès humain, non plus uniquement aux ego des dirigeants et intérêts de quelques actionnaires.
Le second axe, c’est un changement de paradigme avec l’apport de 6 niveaux supplémentaires de valeur et de potentiel. Il n’y aura plus uniquement le point de vue matériel, mais également la considération de la terre, des processus, de l’émotionnel, de la communication et des connaissances, le tout supporté par la vision.
En troisième lieu, les modèles ne seront plus linéaires mais des écosystèmes offrant des ressources à plusieurs niveaux et répondant à des besoins à plusieurs niveaux. L’économie sera donc systémique.
En quoi la crise a-t-elle pu accélérer cette transformation?
Je fais partie de la génération “yuppie” des années 80. Une génération qui a été entraînée à une seule chose: faire de l’argent, faire tourner la machine — ce qui nous a menés dans l’impasse actuelle. Cette crise ne s’inscrit pas dans les traditionnels cycles de Kondratieff. C’est tout un système qui est remis en question, un système basé sur l’ego et l’accumulation de valeur matérielle où les notions de manque, de survie et de peur sont centrales.
Aujourd’hui, nous sommes en train de basculer vers un modèle qui valorise les notions d’abondance, de partage et de réalisation de soi. C’est ce que j’appelle la systémique des ressources. La valeur intrinsèque des entreprises est devenue principalement intangible.
Ce ne sont pas les camions, machines et ordinateurs qui font la différence d’une entreprise, mais les gens qui y travaillent. Les entreprises qui seront encore là dans 20 ans seront celles qui auront su créer autant de valeur humaine que de valeur matérielle. L’humain constitue donc le principal gisement de notre croissance future. Et on ne réussira que moyennant une alliance intergénérationnelle entre l’agilité de la génération Z, la force de frappe de la génération Y et la sagesse et les ressources de la génération X.
Comme par exemple?
Prenez Google. C’est un modèle entièrement basé sur la participation. Google fournit l’outil, le grand public apporte le contenu et les annonceurs amènent l’argent. Chacun s’y retrouve et le modèle marche. Car il répond aux besoins des partenaires. C’est valable pour n’importe quelle entreprise, à condition que vous soyez capable d’identifier les ressources présentes autour de vous et de répondre aux besoins des différents partenaires.
Comment passer d’une l’économie linéaire à une économie systémique?
Une telle transition ne s’improvise pas. C’est un chemin semé d’embûches. Et les raccourcis se paient en général très cher. D’où notre manuel publié sous la forme d’une feuille de route. Nous commençons par un “scan” de la situation existante, du savoir, des meilleures pratiques et nouveaux entrants du secteur de l’entreprise concernée. Nous cartographions ensuite le business-écosystème, les besoins et ressources de chaque partie prenante et la raison d’être de l’entreprise.
Avec le groupe de travail, nous imaginons et validons de nouvelles triangulations entre besoins et ressources facilitées par l’entreprise. Finalement, nous testons et affinons les nouveaux business modèles. Mais attention, il y a de nombreuses peurs et craintes à gérer à chaque étape: l’inconnu, l’insécurité, le jugement, le découragement. Il faut s’y préparer, les anticiper.
Que peut faire le patron d’une entreprise avec votre discours?
La première chose que je lui conseille, c’est de prendre du temps avec ses équipes. En restant bloqué dans l’urgence, il lui est impossible de revoir sa façon de fonctionner.
Ensuite, il doit sortir de la relation fournisseur-client et cartographier les ressources et les besoins qui se trouvent chez l’ensemble des parties prenantes, les “stakeholders”. À eux d’imaginer de nouvelles façons de mettre en rapport ces besoins et ressources pour créer de la valeur. Ce n’est qu’ainsi que l’entrepreneur parviendra à sortir de la “masse grise” de la concurrence. L’effet connexe de cet exercice est qu’il motive les troupes car il donne un nouveau sens à son projet.
Faut-il des profils particuliers pour cela?
Absolument. Des profils tant créatifs que gestionnaires de projets. Des personnalités fortes et humbles à la fois, capables d’animer des groupes en intelligence collective, curieux de nature, mobilisants, authentiqus et cohérents, rêveurs mais pragmatiques. Des perles rares. Nous démarrons une formation à cet effet en septembre prochain en collaboration avec les parties prenantes de la région (chambres de commerce, hautes écoles, etc.).
Que proposez-vous aux personnes et organisations qui aimeraient s’y initier?
Plusieurs choses: de nombreuses publications sur notre blog et canal YouTube, des conférences et ateliers de travail, forums de découverte, une formation en économie systémique, des groupes d’innovation de 10 dirigeants, avec comme objectif la création de nouveaux business en 12 mois.
Et enfin, un travail direct en entreprise, de facilitation stratégique et d’animation de groupes de travail. Les premiers résultats sont spectaculaires: de nouveaux segments de création de valeur durable apparaissent déjà.
Extrait de l’article l’Echo ci dessous, datant de 2014